Faire oraison avec saint François de Sales

METHODE PROPOSEE PAR SAINT FRANÇOIS DE SALES

Le texte est tiré de Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, 2ème partie, chapitre 2 à 7. Il apparaît quand vous cliquez sur les titres qui contiennent un développement. Philothée (celle qui aime Dieu) représente les diverses femmes que le saint a dirigé au cours de sa vie. Commençons par quelques phrases d’introduction.

« Vous ne savez peut-être pas, Philothée, comme il faut faire l’oraison mentale ; car c’est une chose dont, par malheur, peu de gens savent en notre temps. C’est pourquoi je vous présente une simple et brève méthode pour cela, en attendant que, par la lecture de plusieurs beaux livres qui ont été composés sur ce sujet, et surtout par l’usage, vous en puissiez être plus amplement instruite ».

Brève méthode pour la méditation.

  • La préparation
    • se mettre en présence de Dieu par un des moyens suivants :
      • Dieu est présent en ce lieu
        Une vive et attentive appréhension de la toute présence de Dieu [saint François veut dire que je dois fixer mon esprit avec vigueur et attention sur la présence de Dieu autour de moi], c’est-à-dire que Dieu est en tout et partout, et qu’il n’y a lieu ni chose en ce monde où il ne soit d’une très véritable présence ; de sorte que, comme les oiseaux, où qu’ils volent, rencontrent toujours l’air, ainsi, où que nous allions, où que nous soyons, nous trouvons Dieu présent. Chacun sait cette vérité, mais chacun n’est pas attentif à la saisir. Les aveugles ne voyant pas un prince qui leur est présent, ne laissent pas de se tenir en respect s’ils sont avertis de sa présence; mais la vérité est que, comme ils ne le voient pas, ils ne songent plus aisément qu’il soit présent, et s’en étant oubliés, ils perdent encore plus aisément le respect et la révérence. Hélas ! Philothée, nous ne voyons pas Dieu qui nous est présent ; et, bien que la foi nous avertisse de sa présence, cependant ne le voyant pas de nos yeux, nous nous en oublions bien souvent, et nous comportons comme si Dieu était bien loin de nous ; car encore que nous sachions bien qu’il est présent à toutes choses, néanmoins n’y pensant point, c’est tout autant comme si nous ne le savions pas. C’est pourquoi toujours, avant l’oraison, il faut provoquer notre âme à une attentive pensée et considération de cette présence de Dieu. Ce fut l’appréhension de David, quand il s’écriait : Si je monte au ciel, ô mon Dieu, vous y êtes ; si je descends aux enfers, vous y êtes ; et ainsi nous devons user des paroles de Jacob, lequel ayant vu l’échelle sacrée : Oh ! que ce lieu, dit-il, est redoutable ! Vraiment Dieu est ici, et je n’en savais rien. Il veut dire qu’il n’y pensait pas; car au reste il ne pouvait ignorer que Dieu ne fût en tout et partout. Venant donc à la prière, il vous faut dire de tout votre cœur et à votre cœur : O mon cœur, mon cœur, Dieu est vraiment ici.
      • Dieu est présent dans mon cœur et mon esprit
        Se mettre en cette sacrée présence, c’est penser que non seulement Dieu est au lieu où vous êtes, mais qu’il est très particulièrement en votre cœur et au fond de votre esprit, lequel il vivifie et anime de sa divine présence, étant là comme le cœur de votre cœur et l’esprit de votre esprit; car, comme l’âme étant répandue par tout le corps se trouve présente en toutes les parties d’icelui, et réside néanmoins au cœur d’une spéciale résidence, de même Dieu étant très présent à toutes choses, est présent toutefois d’une spéciale façon à notre esprit : et pour cela David appelait Dieu, Dieu de son cœur et saint Paul disait que nous vivons, nous nous mouvons et sommes en Dieu. En la considération donc de cette vérité, vous exciterez une grande révérence en votre cœur à l’endroit de Dieu, qui lui est si intimement présent.
      • considérer le Sauveur qui me regarde du Ciel
        Considérer notre Sauveur, lequel en son humanité regarde dès le Ciel toutes les personnes du monde, mais particulièrement les chrétiens qui sont ses enfants, et plus spécialement ceux qui sont en prière, desquels il remarque les actions et conduites. Or, ceci n’est pas une simple imagination, mais une vraie vérité ; car encore que nous ne le voyions pas, pourtant de là-haut il nous considère : saint Étienne le vit ainsi au temps de son martyre. Si bien que nous pouvons bien dire avec l’Épouse : Le voilà qui est derrière la paroi, voyant par les fenêtres, regardant par les treillis.
      • imaginer Jésus près de moi
        Se servir de la simple imagination, nous représentant le Sauveur en son humanité sacrée comme s’il était près de nous, ainsi que nous avons accoutumé de nous représenter nos amis et de dire : je m’imagine de voir un tel qui fait ceci et cela, il me semble que je le vois, ou chose semblable. Mais si le très saint Sacrement de l’autel était présent, alors cette présence serait réelle et non purement imaginaire; car les espèces et apparences du pain seraient comme une tapisserie, derrière laquelle Notre-Seigneur réellement présent nous voit et considère, quoique nous ne le voyions pas en sa propre forme.

« Vous userez donc de l’un de ces quatre moyens, pour mettre votre âme en la présence de Dieu avant l’oraison ; et il ne faut pas les vouloir employer tous ensemble, mais seulement un à la fois, et cela brièvement et simplement ».

    • invoquer son assistance

      L’invocation se fait en cette manière: votre âme se sentant en la présence de Dieu, se prosterne en une extrême révérence, se connaissant très indigne de demeurer devant une si souveraine Majesté, et néanmoins, sachant que cette même bonté le veut, elle lui demande la grâce de la bien servir et adorer en cette méditation. Que si vous le voulez, vous pourrez user de quelques paroles courtes et enflammées, comme sont celles ici de David:

      « Ne me rejetez point, O mon Dieu, de devant votre face, et ne m’ôtez point la faveur de votre Saint Esprit. Éclairez votre face sur votre servante, et je considérerai vos merveilles. Donnez-moi l’entendement, et je regarderai votre loi et la garderai de tout mon cœur. Je suis votre servante, donnez-moi l’esprit » ; et telles paroles semblables à cela. Il vous servira encore d’ajouter l’invocation de votre bon ange et des sacrées personnes qui se trouveront au mystère que vous méditez : comme en celui de la mort de Notre Seigneur, vous pourrez invoquer Notre Dame, saint Jean, la Madeleine, le bon larron, afin que les sentiments et mouvements intérieurs qu’ils y reçurent vous soient communiqués; et en la méditation de votre mort, vous pourrez invoquer votre bon ange, qui se trouvera présent, afin qu’il vous inspire des considérations convenables ; et ainsi des autres mystères.

    • proposition du mystère

      Proposer à son imagination le corps du mystère que l’on veut méditer, comme s’il se passait réellement et de fait en notre présence. Par exemple, si vous voulez méditer Notre Seigneur, en la façon que les Évangélistes le décrivent. J’en dis de même quand vous méditerez la mort, ainsi que je l’ai marqué en cette méditation, comme aussi à celle de l’enfer, et en tous semblables mystères où il s’agit de choses visibles et sensibles ; car, quant aux autres mystères, de la grandeur de Dieu, de l’excellence des vertus, de la fin pour laquelle nous sommes créés, qui sont des choses invisibles, il n’est pas question de vouloir se servir de cette sorte d’imagination. Il est vrai que l’on peut bien employer quelque similitude et comparaison pour aider à la considération; mais cela est aucunement difficile à rencontrer, et je ne veux traiter avec vous que fort simplement, et en sorte que votre esprit ne soit pas beaucoup travaillé à faire des inventions.

      Or, par le moyen de cette imagination, nous enfermons notre esprit dans le mystère que nous voulons méditer, afin qu’il n’aille pas courant çà et là, ni plus ni moins que l’on enferme un oiseau dans une cage, ou bien comme l’on attache l’épervier à ses longes, afin qu’il demeure dessus le poing. Quelques-uns vous diront néanmoins qu’il est mieux d’user de la simple pensée de la foi, et d’une simple appréhension toute mentale et spirituelle, en la représentation de ces mystères, ou bien de considérer que les choses se font en votre propre esprit; mais cela est trop subtil pour le commencement, et jusques à ce que Dieu vous élève plus haut, je vous conseille, Philothée, de  vous retenir en la basse vallée que je vous montre.

  • Des considérations

    Après l’action de l’imagination, s’ensuit l’action de l’entendement que nous appelons méditation, qui n’est autre chose qu’une ou plusieurs considérations faites afin d’émouvoir nos affections en Dieu et aux choses divines : en quoi la méditation est différente de l’étude et des autres pensées et considérations, lesquelles ne se font pas pour acquérir la vertu ou l’amour de Dieu, mais pour quelques autres fins et intentions, comme pour devenir savant, pour en écrire ou disputer. Ayant donc enfermé votre esprit, comme j’ai dit, dans l’enclos du sujet que vous voulez méditer, ou par l’imagination, si le sujet est sensible, ou par la simple proposition, s’il est insensible, vous commencerez à faire sur icelui des considérations, dont vous verrez des exemples tout formés ès méditations que je vous ai données. Que si votre esprit trouve assez de goût, de lumière et de fruit sur l’une des considérations, vous vous y arrêterez sans passer plus outre, faisant comme les abeilles qui ne quittent point la fleur tandis qu’elles y trouvent du miel à recueillir. Mais si vous ne rencontrez pas selon votre souhait en l’une des considérations, après avoir un peu marchandé et essayé, vous passerez à une autre ; mais allez tout bellement et simplement en cette besogne, sans vous y empresser.

  • Des affections et résolutions

    La méditation répand des bons mouvements en la volonté ou partie effective de notre âme, comme sont l’amour de Dieu et du prochain, le désir du paradis et de la gloire, le zèle du salut des âmes, l’imitation de la vie de Notre Seigneur, la compassion, l’admiration, la réjouissance, la crainte de la disgrâce de Dieu, du jugement et de l’enfer, la haine du péché, la confiance en la bonté et miséricorde de Dieu, la confusion pour notre mauvaise vie passée : et en ces affections, notre esprit se doit épancher et étendre le plus qu’il lui sera possible.
    (Ici, saint François renvoie à deux ouvrages de son temps : Méditations de dom André Capilia, préface du tome 1, et Traité de l’Oraison du Père Arias)

    Il ne faut pas pourtant, Philothée, s’arrêter tant à ces affections générales, que vous ne les convertissiez en des résolutions spéciales et particulières pour votre correction et amendement. Par exemple, la première parole que Notre Seigneur dit sur la croix répandra sans doute une bonne affection d’imitation en votre âme, à savoir, le désir de pardonner à vos ennemis et de les aimer. Or, je dis maintenant que cela est peu de chose, si vous n’y ajoutez une résolution spéciale en cette sorte: or sus donc, je ne me piquerai plus de telles paroles fâcheuses qu’un tel ou une telle, mon voisin ou ma voisine, mon domestique ou ma domestique disent de moi, ni de tel et tel mépris qui m’est fait par celui-ci ou celui-là; au contraire, je dirai et ferai telle et telle chose pour le gagner et adoucir, et ainsi des autres. Par ce moyen, Philothée, vous corrigerez vos fautes en peu de temps, là où par les seules affections vous le ferez tard et malaisément.

  • Conclusion : le bouquet spirituel

    Enfin il faut conclure la méditation par trois actions, qu’il faut faire avec le plus d’humilité que l’on peut. La première, c’est l’action de grâces, remerciant Dieu des affections et résolutions qu’il nous a données, et de sa bonté et miséricorde que nous avons découvertes au mystère de la méditation La seconde, c’est l’action d’offrande par laquelle nous offrons à Dieu sa même bonté et miséricorde, la mort, le sang, les vertus de son Fils, et, conjointement avec icelles, nos affections et résolutions. La troisième action est celle de la supplication, par laquelle nous demandons à Dieu et le conjurons de nous communiquer les grâces et vertus de son Fils, et de donner la bénédiction à nos affections et résolutions, afin que nous les puissions fidèlement exécuter; puis nous prions de même pour l’Eglise, pour nos pasteurs, parents, amis et autres, employant à cela l’intercession de Notre Dame, des anges, des saints. Enfin j’ai remarqué qu’il fallait dire le Pater noster et Ave Maria, qui est la générale et nécessaire prière de tous les fidèles.

    A tout cela, j’ai ajouté qu’il fallait cueillir un petit bouquet de dévotion; et voici que je veux dire. Ceux qui se sont promenés en un beau jardin n’en sortent pas volontiers sans prendre en leur main quatre ou cinq fleurs pour les odorer et tenir le long de la journée: ainsi notre esprit ayant discouru sur quelque mystère par la méditation, nous devons choisir un ou deux ou trois points que nous aurons trouvés plus à notre goût, et plus propres à notre avancement, pour nous en ressouvenir le reste de la journée et les odorer spirituellement. Or, cela se fait sur le lieu même auquel nous avons fait la méditation, en nous y entretenant ou promenant solitairement quelque temps après.